Faisons un rêve

Le regard de Chambaz

Ce rêve, ce n'est pas que le Red Star emporte ses trois matchs en retard, trois matchs à l'extérieur, un triplé gagnant qui le placerait en tête du classement. Ce serait bien et ce n'est quand même pas une vision ni une chimère. 

  Ce rêve, c'est que le Red Star n'ait que des supporters dignes de ce nom, des supporters qui soutiennent leur équipe par leurs chants, leurs banderoles, leurs applaudissements, des supporters délestés de la poignée d'imbéciles qui lancent des fumigènes comme si  nous vivions une sorte d'éternel feu d'artifice du 14 juillet alors qu'ils desservent par ce geste leur équipe et leur club, des supporters débarrassés du quarteron d'abrutis qui ont dégradé (synonymes en français : saccager, vandaliser) les panneaux publicitaires du stade de Boulogne, si j'en crois La voix du nord. 

  Et pourquoi ? pour rouscailler contre la pluie ? pour regimber contre une pelouse inondée ? 

  Ce rêve, c'eût été celui de Rino della Negra. C'est le premier nom audonien que j'ai connu, avec Daniel Rodighiero dit Tête d'or – comme Sandor Kocsis et Paul Claudel – que j'essayais d'imiter. Rodi, pas Claudel malgré son souffle qui en eût fait un bon milieu de terrain. 

  Ce samedi 21 février 2015, c'était le 71 eme anniversaire de son exécution par les nazis. Rino della Negra était entré dans les Francs-Tireurs et Partisans, ceux de la Main-d'Oeuvre Immigrée qui ont donné leur vie pour la France, oui, car ce fut ainsi, et – malgré Vichy, ou à cause de Vichy – la France leur donnait envie de se battre. Il est mort à vingt ans et ses derniers mots envoyés à son frère, juste avant d'être fusillé, m'ont toujours serré le coeur : « Envoie le bonjour et l'adieu à tout le Red Star ! » 

  Un hommage lui était rendu devant le stade Bauer. J'y suis allé, par une espèce d'impératif moral et par reconnaissance. A 14 heures, devant la plaque, il n'y avait pas grand monde, mais de gros nuages gris. Les premiers arrivés s'étaient réfugiés au café en face, d'autres sont venus, une trentaine de personnes en tout et pour tout, des jeunes, des anciens, des encore plus anciens que moi, des membres des Amis de la Résistance et de l'Association Nationale des Anciens Combattants, leurs drapeaux posés contre le palmier du parvis, puis tenus par la hampe le temps d'un petit discours de René Mateo sous un ciel de plus en plus noir, avant de déposer les gerbes, cinq bouquets, et je m'en suis voulu de ne pas avoir apporté une rose rouge ou jaune. Enfin ce fut le salut aux morts, sans la sonnerie, ni fanfare, mais l'assistance entonna sous les premières gouttes de pluie une Marseillaise timide puis Le chant des partisans plus enlevé qui finit par s'éteindre entre deux strophes, recouvert par le moteur du bus 166. 

  Ainsi s'achevait une brève et modeste cérémonie, émouvante. Il ne restait plus qu'à  se parler, un peu, des mérites de cette équipe et des espoirs qu'elle fait naître, sous le sceau de l'hymne de la Résistance (un mot à ne pas galvauder, sous peine d'y perdre son âme)  : « Ici chacun sait ce qu'il veut, ce qu'il fait quand il passe ».



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