Fardin avant Istres.

Le regard de Chambaz

Le joli mois de mai est là. 

  Moins joli dans le ciel, pour l'instant, que dans les coeurs. Mais les nuages au-dessus de Bauer ne reflètent pas la sérénité qui règne dans les couloirs, entre les vestiaires et la salle où les joueurs déjeunent ensemble. Il n'y a ni triomphalisme ni même excès d'assurance. Les joueurs ont la tête au match qu'ils ont à jouer vendredi et ils savent que ce match devrait être celui de la montée. Ils ont aussi la tête un peu ailleurs, juste un peu, on les comprend. La saison prochaine se profile. Personne ne vend la peau de l'ours mais chacun envisage son petit pot de miel. Dans les couloirs, dans le hall où toutes les coupes entassées pêle-mêle brillent dans la vitrine avec les écharpes du club et les deux livres consacrés à l'histoire du club, je perçois confusément ce qu'on appelle avec justesse, la preuve, des bruits de couloir.  

  Au rythme où vont les choses, la victoire à Dunkerque (là-haut) n'a pas surpris et elle a fait du bien. Avec 63 points, l'escarcelle est désormais bien remplie et les statis­tiques ne laissent à peu près aucune chance à un échec. Mais c'est sans doute la diffé­rence entre les statistiques et les mathématiques, la montée n'est pas encore mathéma­tiquement assurée. Il faut battre Istres, sous-préfecture fleurie, habitée depuis l'époque néolithique. Istres c'est le Football Club Istres Ouest Provence, les violet et blanc, un ancien pensionnaire fugace de Ligue 1, un habitué de l'ascenseur, déjà condamné à la descente. Ce n'est pas une raison pour que le match soit facile, car un match n'est ja­mais facile, car les joueurs voudront se montrer, car en règle générale on tombe tou­jours la tête haute. 

  Si je suis venu à Bauer ce mardi, c'est pour rencontrer Ludovic Fardin, et si j'ai choi­si de le rencontrer ce n'est pas par hasard.

  Il est au Red Star, peu ou prou, depuis quinze ans. Etant donné qu'il en a vingt-neuf, pas besoin d'être doué en maths pour calculer qu'il y a passé plus de la moitié de sa vie. Il est d'ici, pas de Saint-Ouen, mais de Seine-Saint-Denis et heureux d'en être – natif d'Auber­villiers, près des six-routes, grandi à La Courneuve, passé par une école Jules-Vallès et un collège Gabriel-Péri, venu au foot à sept huit ans après un mois de judo qui ne l'a pas vraiment emballé, inscrit au CMA, le Club Municipal d'Aubervil­liers, à vocation populaire. C'est là qu'il est recruté par un éducateur du Red Star, et intégré à la section Sports et études au collège Michelet, si près du stade. Il joue et il étudie, « mes parents voulaient que je travaille bien à l'école », il ira jus­qu'au bac ES, le plus difficile à obtenir. Une saison, toutefois, il tente l'aventure au Racing, chez les bleu-ciel et blanc, mais il ne s'y plaît pas. Colombes est loin, l'am­biance très diffé­rente, beaucoup moins chaleureuse, il n'a « pas trop de connivence », comme si le 92 était un autre monde. 

  Evidemment, il reviendra. 

  Ludovic paraît souverainement cool et du genre à maîtriser ses émotions. Mais au soir de la montée, il a promis de pleurer.



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