Le Regard de Chambaz

La 3ème chronique de l'écrivain en résidence

Visiblement, je suis cerné par les gardiens de but. 

 Après avoir rencontré Bobby Allain, après avoir salué les exploits de nos deux gar­diens qui nous ont préservés d'une sévère défaite contre les éducateurs la semaine dernière, j'avais décidé de brosser un portrait d'une figure légendaire du club – Pierre Chayri­guès. Et puis j'ai vu lundi le documentaire Standard consacré aux supporters du Stan­dard de Liège. C'est ce film magnifique que j'ai envie d'évoquer – et ce film c'est notre gar­dien Brieux Férot qui l'a écrit.
   D'abord Standard rime un peu avec Red Star et ils viennent tous les deux de la langue anglaise. Si le Red Star c'est l'Etoile Rouge, le Standard c'est tout simplement l'éten­dard. Un morceau d'étoffe qu'on voit dans le ciel, à peine moins haut qu'une étoile. L'étendard est rouge, les supporter sont des rouges. Avec la prononciation, on dit « Les Rouches ». Le club date de 1898 – c'est le cadet d'un an du Red Star et il a une aussi longue, belle et riche histoire. 
  Le stade fait corps avec la ville et un monde ouvrier. De là, on voit le haut-fourneau d'Arcelor-Mittal qui est une espèce de Sacré-Coeur. Il y a une tribune nommée Terril parce qu'on est en pays minier et une butte que les enfants peuvent descendre en cou­rant. On parle volontiers d'enfer et de chaudron. Ce n'est pas pour rien que Liège est depuis des siècles la Cité ardente. Les supporters sont donc le sujet du film. D'ailleurs on aperçoit à peine la pelouse, hors cadre. Il faut dire qu'ici on compte soixante-dix clubs de supporters qui viennent de toute la Belgique, wallons comme flamands, et qui font jus­qu'à cinq heures de route dans la journée pour assister au match.
  Standard est un film silencieux, à part les chants et quelques poignées de mots, sobre, fondé sur une émotion très forte autant que re­tenue. Les personnages ont les larmes aux yeux et – ce faisant – nous mettent les larmes aux yeux. Que ce soit cet homme d'une cinquantaine d'années, maigre comme un coucou, qui collecte tous les articles de journaux et transforme une pièce de sa maison en musée, qui confie que son meilleur souvenir remonte à ses onze ans et au match du titre où il a vu sa mère pleurer. Que ce soit cette femme, à  la fois défigurée et transfigurée par la passion, qui vient au stade et va en déplacement depuis plus de quarante ans. Que ce soit ce costaud, plus jeune, qui a son groupe de rock et une ferveur de « bleuet », ou cette manifestation d'allure syndicale avec des feux de bengale rouge pour la défense des valeurs du club.
  Son nom complet est Royal Standard mais il faut croire que le côté populaire a gom­mé le royal. Enfin il excelle avec une académie qui forme les jeunes joueurs. Mais tout va trop vite. On voudrait que Standard ne finisse pas, et on dirait vraiment que le poète Jacques Izoard – né à deux pas du stade – s'est assis sur les gradins quand il écrit : « Mis bout à bout tous les escaliers de Liège conduiraient à la lune ou au centre de la terre ».

Bernard Chambaz



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