Le regard de Chambaz

L'écrivain en résidence revient sur l'actualité

  Etre ou ne pas être : telle est la question. Vous aurez sans doute reconnu la question posée par Shakespeare dans Hamlet.

  J'avais fini ma chronique de décembre 2014 par des références littéraires, je ne comptais pas repartir en 2015 avec d'autres références. Cependant l'actualité nous oblige. Il va de soi que je parle en mon nom, sans engager le club, mais il va de soi aussi que je le fais en amoureux du club, de son histoire, de sa géographie, de ce qu'on appelle ses valeurs. 

  Vendredi 9 janvier, le stade Bauer est le seul stade à avoir ouvert ses portes pour une rencontre de football dans la région parisienne. A l'occasion de la 17 eme journée, il recevait Fréjus-St-Raphaël. L'entrée en matière a été sobre. Dans ces circonstances, les trois mots « Je suis Charlie », imprimés sur la dernière page du programme, ren­daient un hommage légi­time aux 17 morts des attentats. Beaucoup de spectateurs ont brandi le programme lors de l'entrée des équipes sur la pelouse. Les joueurs portaient un brassard noir. Une minute d'applaudissements a salué la mémoire des victimes. 

  Mais rien n'est jamais simple. Rien n'est jamais aussi simple que certains le pré­tendent. Il suffirait, pour les esprits curieux, d'aller voir l'âpreté des débats sur la tolé­rance parmi les philosophes des Lumières.    

  Etre ou ne pas être Charlie, voilà dorénavant une question. Non pas la question, mais une vraie question qu'on ne peut pas éluder. 

  D'ailleurs, pour commencer qu'est-ce que c'est « être Charlie » ? D'autant que l'uni­formité de pensée et d'attitude n'a jamais été la tasse de thé – ni le verre de vin – de ce journal et de Hara-Kiri qui l'a précédé. Faut-il l'entendre au singulier ou au pluriel, être Charlie(s), oui, nous sommes plutôt Charlies comme nous sommes Ahmed comme nous sommes Yoav comme nous sommes Clarissa. Le beau dessin de Woz­niak à la dernière page du Canard enchaîné d'hier nous rappelle au passage que ce phénoménal « Je suis Charlie » vient d'un livre pour enfants où il s'agit de retrouver à chaque page le dénommé Charlie plongé dans une foule immense. Et s'il y a un rêve à faire, c'est sû­rement celui d'une nation arc-en-ciel. Mais cette nation ne saurait s'affir­mer sans que nous nous at­taquions aux injustices sociales qui sont le ressort majeur du trouble. 

  Pour le Red Star, il s'agit plus que jamais de s'appuyer sur sa tradition, sur les sta­tuts du club rédigés par Jules Ri­met, à une époque où la France était déchirée par la ques­tion fondamentale de la sé­paration de l'Eglise et de l'Etat, et où la laïcité apparaît déjà comme le maître mot. Aux éducateurs, qui ont en charge la responsabilité essen­tielle de former les jeunes footballeurs du club, de leur transmettre que Charlie(s) est aussi le nom de la diversité, que rien n'oblige personne à être Charlie, et que rien, absolu­ment rien, ne peut justifier la moindre com­plaisance à l'égard du fanatisme.

  Enfin c'est bien Gavroche qui chantait, non sans insolence, « c'est la faute à Voltaire, c'est la faute à Rousseau », et qui ajoutait :

    Voici la banlieue !

     Co-cocorico !



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