Le regard de Chambaz

La chronique de l'écrivain en résidence

Si c'est bien de retrouver la lumière, comme l'a dit Steve Marlet, ce n'est pas plus mal d'éviter qu'il y en ait trop. C'est le point commun entre un club de football et une photographie. Ne pas être surexposé(e), afin de ne pas perdre ses couleurs, ne pas se diluer dans une lumière blanche qui estompe les détails et fausse la perspective.  

  Alors, ce mercredi, je m'offre un biais – le pénalty – que j'emprunte à l'actualité. Le pénalty est toujours d'actualité. Il ne se passe pas de journée de championnat sans qu'il y ait, non seulement des pénaltys sifflés par des arbitres, tirés le plus souvent par des joueurs de champ et encaissés – ou arrêtés – par des gardiens de but, mais aussi des discussions sans fin et des débats stériles sur le bien-fondé – ou non – de la décision de l'arbitre. 

  Penalty est un des premiers mots anglais que les jeunes maîtrisent et qu'ils crient volontiers – à  moins qu'ils ne préfèrent « péno » comme autrefois. En réalité, pénalty comme on sait c'est la faute – qui est sifflée. Le tir lui-même c'est le « pénalty kick », le coup de pied. Et je m'avise, même si ça n'intéresse pas grand monde, que si la langue française a adopté le verbe « shooter » qui a ses lettres de noblesse – si on peut dire – chez Céline, elle ignore le verbe « kicker » malgré les motards qui démarrent leur bécane au pied et les rockers qui jouent de la grosse caisse. En littérature, le pénalty a même nourri le titre d'un excellent petit roman autrichien, L'angoisse du gardien de but au moment du pénalty, qui m'a troublé avant que je ne le lise car il m'était toujours apparu que l'angoisse pesait davantage sur les épaules du tireur que sur celles du gardien. Et il faut le lire jusqu'à la fin pour voir un ballon et le fameux tir qui inspira peut-être Panenka. 

  L'actualité réserve parfois de belles histoires. Celle-ci met en scène la FIFA qui est riche comme Crésus et vient de lâcher – dieu sait pourquoi – quelques picaillons pour restaurer la tombe de l'inventeur du pénalty. Et j'aurai donc attendu tout ce temps pour apprendre qu'un jour le dénommé William McCrum, un irlandais, du nord, a eu cette riche idée. C'était en 1890 – l'année de naissance d'Agata Christie et du général de Gaulle (qui n'était pas encore général). Gardien de but, effrayé parait-il par la violence qui régnait dans la surface de réparation, qui – soit dit en passant – n'existera que dix ans plus tard, il propose ce « kick». On aurait pu lui ériger une statue. A tout le moins, ne pas l'oublier. Mais la destinée de William McCrum a une dimension tragique. Il meurt seul, abandonné de tous, sa famille et ses copains, ruiné, après avoir dépensé son petit pécule dans les casinos. Sa tombe est dans le cimetière de la ville où saint Patrick avait fondé le premier évéché. On est en 1932. 

  Cette année-là, en raison de travaux, le Red Star doit quitter le stade de Paris (qui ne pouvait pas encore s'appeler Bauer) pour le stade de la porte d'Orléans. Comme quoi l'histoire ne cesse de nous surprendre.



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