Fardin après Istres.

Le regard de Chambaz

Apollinaire et moi et quelques autres l'avaient bien dit – que le mois de mai était joli. Même le ciel était de la fête ce vendredi 8, jour du 70eme anniversaire de la victoire sur le nazisme. 

  Le match est vite plié, lors d'une belle première mi-temps emballante qui ne laisse aucune place au doute ni au stress. Tout le monde comprend que le Red Star est déjà en Ligue 2. Au coup de sifflet final, la joie des joueurs éclate. Planté, en larmes, pour ce que je peux voir des tribunes, étendu les bras en croix comme le soir de la victoire si importante contre Bourg-Peronnas, puis accroupi, la tête dans les gants, embrassé et relevé par Allegro. A cette joie profonde répond la liesse des spectateurs qui pé­nètrent sur le terrain par les grilles judicieusement ouvertes. Je cherche Fardin du re­gard. Est-ce qu'il pleure ? 

  Ludovic est entré au cours de la deuxième mi-temps. Sa saison a été un peu gâchée par des blessures, déchirure à l'ischio puis au mollet, qui furent la marque du deuil. Il aura donc été un joker, de luxe. Ce soir, il donne comme d'habitude des ballons propres, il conserve son calme olym­pien, il est même à deux doigts (de pied) de mar­quer – sans une sortie kamikaze du gardien adverse. Ce but eût été le premier depuis quatre ans. Dommage ! Mais ce sera pour l'année prochaine en Ligue 2, qu'il consi­dère comme un « ac­complissement ». 

  Il est donc revenu au Red Star après s'être arrêté deux ans, entre dix-huit et vingt, avoir passé un bac ES (le plus difficile à obtenir), travaillé chez Mac Do puis à la poste, facteur à Bondy (Seine-Saint-Denis), à vélo. Le bureau de poste principal est au bout de la rue de la Philosophie, ça ne s'invente pas, mais je ne sais pas si ça prête à réflexion. En tout cas, ce serait le jour ou jamais d'aller voir le film Jour de fête de son collègue Tati. Ludovic est revenu par­ce que le coach d'Aubervilliers est devenu l'entraî­neur au Red Star et il joue en CFA tout en distribuant le courrier. En cinq ans, c'est la montée en National. 

  "Je suis resté là, le club m'a fait confiance". Ludovic ne parle pas de chance mais d'une aventure magnifique. Désormais il s'entraîne tous les matins. Il a encore la nos­talgie de la pelouse, même si ce fut un régal de jouer sur une pelouse synthétique quand elle a été posée, mais au fil du temps elle est devenue dure, elle brûle les pieds et esquinte les chevilles, parfois on dirait qu'on est sur du béton, comme un retour aux sources. L'après-midi, il fait la sieste, comme Napoléon, une heure, plus long­temps que Napoléon. Il dit que c'est le privilège des vieux. Il habite à Bobigny, entre Auber­villiers et Bondy. Un an sur deux, il passe ses vacances en Marti­nique. Cet-été, ce sera la Turquie. 

  A part ça, il admire le championnat anglais, le beau jeu, Arsenal, le parcours de Ma­kélélé. Et longtemps, dans la nuit, le son des tambours a bercé l'âme du Red Star – jusqu'au matin du 9 mai, jour du 70 eme anniversaire, comme si on n'en finissait pas avec les anniversaires, ni avec l'his­toire.



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