Julien Darui

Le mythe de l’homme volant


Il y a soixante-dix ans presque jour pour jour (le 19 mai), un enfant de Lorraine soulevait la Coupe de France pour le Red Star. Face à l'occupation, Julien Darui n'avait peut-être pas conscience de représenter l'honneur d'une région annexée car plus qu'un symbole, ce gardien de but était un précurseur. Un révolutionnaire qui a profondément bouleversé les codes de la profession. Portrait.

Entré dans le football par la fenêtre !
Tout a commencé par une fugue. Contre l’avis de ses parents, le jeune Julien (12 ans) se rend au stade d’Audun-le-Tiche en quittant le domicile familial… par la fenêtre. Pas prévu pour jouer, il prend finalement place dans les bois comme on dit à l’époque. Avec les juniors, il ne concède aucun but. Une prestation si brillante qu’il enchaîne même avec le match des seniors qui suit ! Son histoire a déjà des allures de légende. Sa réputation dépasse bientôt le cadre de la Moselle et c’est Charleville qui lui propose son premier contrat. Il n’a alors que dix-neuf ans. Le poste de gardien est pour lui une vocation. Si aucune qualité naturelle ne l’y prédispose (il ne mesure qu’1m69), Julien Darui compense par une détente exceptionnelle et surtout une certaine idée du jeu, plus que ça : une véritable théorie. Très critique envers les gardiens (très nombreux dans les années 30) scotchés à leur ligne, il prône un rôle plus large pour les portiers. Inspiré par Chayriguès, il veut faire de la surface entière, le terrain de jeu des gardiens de but. Ses jaillissement et ses sorties ont durablement marqué les esprits. Il entend aussi développer le jeu au pied pour se transformer en relanceur efficace, en gardien actif comme il se définit. Son style allie le spectaculaire à l’efficace et permet à Charleville d’atteindre la finale de la Coupe de France (1936).

Un International reconnu
Né au Luxembourg mais naturalisé français, Darui est appelé chez les Bleus à l’occasion d’une rencontre contre la Hongrie (2-2) dès 1939. Une année qui le voit également atteindre sa deuxième finale de Coupe de France avec Lille cette fois. Il en sort une nouvelle fois vaincu. Un argument de plus pour s’engager au Red Star, un club qui fait alors figure de spécialiste de l’épreuve (quatre trophées conquis). Son arrivée à Saint-Ouen se fait dans le tumulte de la guerre à l’été 1940. Doté d’un fort caractère, Darui s’impose en dépit des circonstances et de son jeune âge (23 ans). L’équipe Verte et Blanche a fière allure. Herrera, Aston ou Simonyi sont les autres stars de l’effectif. C’est avec eux que Darui remporte enfin la Coupe. L’édition 1942 a certes une saveur relative, la victoire contre Sète suffit au bonheur du gardien qui a su conserver ses cages inviolées lors de la finale (2-0). Son objectif atteint, Darui rentre dans le Nord. Lille puis Roubaix le voit exercer ses talents. Il est à son apogée. Taulier de la sélection nationale (25 sélections), il est appelé pour représenter l’Europe continentale face aux Britanniques en 1947 et devient champion de France !

Le gardien du siècle
Ce sont ces derniers faits d’arme. Il tente d’entamer une carrière d’entraîneur sans réellement connaître le succès. Sur les bancs de Montpelier, Lyon ou Dijon, il ne reste jamais plus d’un an. Engagé brièvement par le cirque Pinder pour arrêter les penalties des spectateurs, il se transforme en triste clown à la fin des années 50 avant de profiter d’une retraite paisible. La grande histoire du foot le rattrape lorsqu’en 1999, un jury de journalistes le désigne dans le onze français du siècle. Une consécration posthume pour celui qui côtoie Platini, Kopa et Zidane au Panthéon des Bleus et dont les cendres ont été dispersées sur le petit stade de Saint-Julien. Elles continuent de flotter sur la surface de réparation. Sa surface de réparation.

François-Xavier Valentin



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